GALLIPATO, QUI ES-TU ?

Aussi loin que remonte mon imaginaire, je me revois encore en culottes courtes devant la cheminée où crépitait le feu de bois de caroubier. Doux pays de Valence, comme les aléas de la vie sont parfois durs à supporter ! Sorti du désastre intime, le monde alentour sentait la misère, pas la misère pleurnicharde, mais celle des travailleurs de la terre, d'une terre qu'ils aimaient mais qui ne le leur rendait pas. Les mains décharnées rivées à leurs outils, le regard vide… plein d'illusions perdues.

Que voyais-je de cette misère, du joug franquiste des années 40 ? Mes yeux d'enfant savaient s'émerveiller d'un rien, d'une étincelle de vie au fond d'une mare. Chacun autour de moi se sacrifiait pour que chaque soleil qui se lève éclaire un sourire d'enfant. Ah l'étonnante époque où un œuf dur coloré à Pâques, une orange dérobée dans un verger, savaient devenir de somptueux cadeau. On était loin des minis motos.

C'est près de ce feu que tu es apparu, petit être rampant et ignoré de tous. Vivant le plus souvent dans les mares boueuses, les catalans t'ont appelé "Ofegabous" ce qui signifie "étouffe-bœufs" en raison certainement de ta capacité à te percer les flancs avec les côtes afin de repousser les tentatives de déglutition d'un prédateur. Peut-être qu'un jour, un malencontreux ruminant en se désaltérant t'a avalé par mégarde et a été pris d'un étouffement mortel. Plus surement, comme pour tant d'autres êtres rampants ou baveux, l'ignorance de la rue t'a livré à la vindicte populaire.

Le nom castillan, celui que l'envahisseur venu de Madrid lui a donné, mérite également quelques commentaires, en raison de sa signification littérale en valencien et en catalan. Gallipato se traduit par "Coq et canard" et s'écrirait très exactement "gall i pato". Incroyable non ! Bon, ceux qui ne sont pas intéressés par cette anecdote peuvent passer directement à une autre rubrique mais, méfiance, sur ce site elles se ressemblent toutes.

Comment ais-je pu m'intéresser à un si insignifiant animal ? C'est tout simplement que celui qui m'apparut ce soir-là à la lueur lancinante des flammes odorantes n'était pas comme les autres. Sur le pas de son trou, il m'a souri et il m'a parlé.

Je vois immédiatement les sourcils des lecteurs se plisser. Que ceux qui n'ont pas 100 sous (*) d'imagination passent leur chemin, cette histoire vraie n'est pas faite pour eux. Encore un aparté pour préciser qu'en français le nom de cette salamandre de près de 30 cm est "pleurodèle", ce qui est beaucoup moins poétique. Victor Hugo s'en était déjà plaint, mais hélas, il faut vivre avec.

D'une voix douce, celle qui enchante l'enfant quand il va s'endormir, il m'a conté (la pleurodèle, pas Victor) l'histoire des hommes, sans rancune et avec un humour inattendu, au regard du sort que ceux-ci lui font subir quand il le rencontrent. De ce bout de terre d'Espagne d'alors jusqu'à La Ville du Bois du monde crépusculaire d'aujourd'hui, il me conte encore parfois, dans mes rêves, notre vie, la vôtre et la mienne.

Ce sont ses témoignages que vous trouverez sous vos yeux en parcourant le site. N'y cherchez pas autre chose, vous perdriez votre temps. Petit gallipato, sous la botte franquiste tu étais libre (lliure en catalan). Aujourd'hui tu n'es plus car il n'y a pas de place pour toi dans le monde fébrile des hommes. Mais dans le cœur de ceux-ci, de certains d'entre eux, il y a encore un petit coin de paradis. Tu resteras dans leur mémoire : Gallipato LLiure.

Gallipato : 15 août 2010.

(*) 100 sous = 5 francs